
La varicelle, une maladie virale hautement contagieuse, reste un enjeu de santé publique majeur malgré l'avènement de la vaccination. Touchant principalement les enfants, elle peut néanmoins affecter les adultes avec des conséquences potentiellement plus graves. Cette infection, caractérisée par son éruption cutanée typique, soulève de nombreuses questions quant à sa prise en charge et sa prévention. Comprendre ses mécanismes, reconnaître ses manifestations et maîtriser les stratégies thérapeutiques s'avère crucial pour les professionnels de santé comme pour le grand public.
Étiologie et pathogenèse de la varicelle
La varicelle est causée par le virus varicelle-zona (VZV), appartenant à la famille des Herpesviridae. Ce virus à ADN présente une enveloppe lipidique qui le rend sensible aux désinfectants mais aussi vulnérable dans l'environnement. La transmission s'effectue principalement par voie aérienne, via les gouttelettes respiratoires, mais aussi par contact direct avec les lésions cutanées.
Une fois dans l'organisme, le VZV se réplique initialement dans les muqueuses des voies respiratoires supérieures et les ganglions lymphatiques régionaux. Cette phase de réplication primaire dure environ 4 à 6 jours et correspond à la période d'incubation. S'ensuit une virémie primaire, durant laquelle le virus atteint le foie et la rate, où il se multiplie à nouveau.
La dissémination du virus vers la peau et les muqueuses marque le début de la phase éruptive. Les cellules épidermiques infectées subissent des modifications caractéristiques, formant les vésicules typiques de la varicelle. Parallèlement, le système immunitaire se mobilise, produisant des anticorps spécifiques et activant la réponse cellulaire.
Le VZV possède la capacité unique de persister dans l'organisme sous forme latente dans les ganglions nerveux sensitifs, pouvant se réactiver des années plus tard sous forme de zona.
Cette pathogenèse complexe explique la variabilité des manifestations cliniques et la possibilité de complications, notamment chez les sujets immunodéprimés ou les adultes n'ayant jamais été en contact avec le virus.
Manifestations cliniques et diagnostic différentiel
Prodromes et phase éruptive caractéristique
La varicelle débute généralement par une phase prodromique de 24 à 48 heures, marquée par une fièvre modérée (38-38,5°C), des céphalées et une sensation de malaise général. Ces symptômes peu spécifiques peuvent passer inaperçus, surtout chez les jeunes enfants.
L'éruption cutanée, signe pathognomonique de la varicelle, apparaît ensuite brusquement. Elle se caractérise par l'apparition successive de macules, papules, vésicules et croûtes, donnant un aspect polymorphe à l'éruption. Les lésions évoluent rapidement, passant du stade de macule à celui de vésicule en quelques heures.
La distribution de l'éruption est centripète, débutant sur le tronc et le cuir chevelu avant de s'étendre aux membres. Les muqueuses peuvent également être touchées, notamment la muqueuse buccale et génitale. L'éruption s'accompagne d'un prurit intense, source d'inconfort pour le patient et de risque de surinfection.
Complications potentielles selon l'âge et le terrain
Bien que généralement bénigne chez l'enfant en bonne santé, la varicelle peut entraîner des complications dont la fréquence et la gravité varient selon l'âge et le terrain du patient. Les complications les plus fréquentes sont :
- Surinfections cutanées bactériennes (impétigo, cellulite)
- Pneumopathies varicelleuses
- Atteintes neurologiques (ataxie cérébelleuse, encéphalite)
- Hépatite
- Thrombopénie
Chez l'adulte, le risque de pneumopathie varicelleuse est particulièrement élevé, pouvant atteindre 20% des cas. Les femmes enceintes constituent une population à risque spécifique, avec un danger pour le fœtus en cas d'infection pendant la grossesse.
Les patients immunodéprimés présentent un risque accru de formes graves, avec une dissémination viscérale potentiellement fatale. La varicelle chez ces patients nécessite une prise en charge hospitalière rapide et un traitement antiviral intraveineux.
Techniques de confirmation diagnostique
Le diagnostic de la varicelle est généralement clinique, basé sur l'aspect caractéristique de l'éruption. Cependant, dans certains cas atypiques ou chez les patients à risque, une confirmation biologique peut s'avérer nécessaire. Les techniques diagnostiques disponibles incluent :
- PCR (Polymerase Chain Reaction) : méthode la plus sensible et spécifique, permettant de détecter l'ADN viral dans les lésions cutanées ou le liquide céphalorachidien.
- Culture virale : moins sensible que la PCR mais permet l'isolement du virus pour des études complémentaires.
- Sérologie : détection des anticorps IgM et IgG spécifiques du VZV, utile pour évaluer le statut immunitaire mais peu pertinente pour le diagnostic de phase aiguë.
- Immunofluorescence directe : détection rapide des antigènes viraux dans les cellules des lésions cutanées.
Le choix de la technique dépend du contexte clinique, de l'urgence diagnostique et des ressources disponibles. La PCR est aujourd'hui considérée comme la méthode de référence pour sa rapidité et sa fiabilité.
Prise en charge thérapeutique et prophylaxie
Antiviraux spécifiques : indications et posologies
Le traitement antiviral de la varicelle repose principalement sur l'aciclovir et ses dérivés (valaciclovir, famciclovir). Ces molécules inhibent la réplication virale en interférant avec l'ADN polymérase du VZV. Leur utilisation n'est pas systématique et dépend de plusieurs facteurs :
- Âge du patient (traitement recommandé chez l'adulte)
- Terrain (immunodépression, grossesse)
- Sévérité de la maladie
- Délai depuis le début des symptômes
Les posologies usuelles sont les suivantes :
Molécule | Voie d'administration | Posologie | Durée |
---|---|---|---|
Aciclovir | Orale | 800 mg 5 fois/jour | 7 jours |
Aciclovir | Intraveineuse | 10 mg/kg toutes les 8h | 7-10 jours |
Valaciclovir | Orale | 1000 mg 3 fois/jour | 7 jours |
L'initiation précoce du traitement (dans les 24 à 48 heures suivant l'apparition de l'éruption) est cruciale pour son efficacité. Chez les patients immunodéprimés, un traitement intraveineux est généralement préféré pour assurer une biodisponibilité optimale.
Traitements symptomatiques adaptés
La prise en charge symptomatique vise à soulager l'inconfort et prévenir les complications. Elle comprend :
Antipyrétiques : Le paracétamol est le traitement de choix pour contrôler la fièvre. L'utilisation d'aspirine est formellement contre-indiquée en raison du risque de syndrome de Reye.
Antihistaminiques : Ils peuvent être prescrits pour soulager le prurit. Les formes sédatives sont parfois préférées pour améliorer le sommeil.
Soins cutanés : L'application de solutions antiseptiques (chlorhexidine, hexamidine) sur les lésions aide à prévenir les surinfections. Les bains à l'amidon de blé ou à l'avoine colloïdale peuvent apporter un soulagement temporaire.
Hydratation : Une bonne hydratation est essentielle, surtout en cas de fièvre ou de lésions buccales gênant l'alimentation.
L'utilisation de talc et de pommades est déconseillée car elle peut favoriser la macération et le risque de surinfection.
Vaccination : schémas et populations cibles
La vaccination contre la varicelle constitue le moyen le plus efficace de prévention. Deux vaccins vivants atténués sont disponibles : le vaccin monovalent contre la varicelle et le vaccin combiné rougeole-oreillons-rubéole-varicelle (ROR-V).
Le schéma vaccinal recommandé comprend deux doses :
- Première dose entre 12 et 15 mois
- Deuxième dose entre 16 et 18 mois (au moins 4 semaines après la première dose)
La vaccination est particulièrement recommandée pour :
- Les adolescents et adultes sans antécédent de varicelle
- Les professionnels de santé
- L'entourage des personnes immunodéprimées
- Les femmes en âge de procréer sans antécédent de varicelle
L'efficacité vaccinale est estimée à 70-90% pour prévenir toute forme de varicelle et à plus de 95% pour les formes sévères.
Mesures d'isolement et prévention de la transmission
La varicelle étant hautement contagieuse, des mesures d'isolement sont nécessaires pour limiter sa propagation. En milieu hospitalier, un isolement respiratoire et cutané est recommandé jusqu'à ce que toutes les lésions soient au stade de croûtes (généralement 5 à 7 jours après le début de l'éruption).
Pour les cas communautaires, il est conseillé d'éviter les contacts avec les personnes à risque (femmes enceintes non immunisées, nouveau-nés, immunodéprimés) pendant toute la durée de la maladie. L'éviction scolaire est recommandée jusqu'à la fin de l'éruption.
La prophylaxie post-exposition peut être envisagée pour les sujets à risque exposés à un cas de varicelle. Elle repose sur :
- La vaccination (si administrée dans les 3 jours suivant l'exposition)
- L'administration d'immunoglobulines spécifiques anti-VZV (dans les 10 jours suivant l'exposition pour les sujets à haut risque)
- Un traitement antiviral préemptif dans certains cas particuliers
Particularités de la varicelle chez les populations à risque
Varicelle gravidique et risques fœtaux
La survenue d'une varicelle pendant la grossesse peut avoir des conséquences graves pour le fœtus et la mère. Les risques varient selon le terme de la grossesse :
Premier trimestre : Risque de syndrome de varicelle congénitale (0,4 à 2% des cas), caractérisé par des malformations cutanées, oculaires, neurologiques et squelettiques.
Deuxième et troisième trimestres : Risque de zona néonatal, généralement bénin.
Période péri-natale : Risque élevé de varicelle néonatale sévère si l'infection maternelle survient dans les 5 jours précédant ou les 2 jours suivant l'accouchement.
La prise en charge d'une varicelle gravidique nécessite une hospitalisation pour surveillance et traitement antiviral intraveineux. Une prophylaxie par immunoglobulines spécifiques peut être proposée en cas d'exposition d'une femme enceinte séronégative.
Prise en charge chez l'immunodéprimé
Les patients immunodéprimés (VIH, greffés, sous chimiothérapie) présentent un risque accru de formes graves et disséminées de varicelle. La prise en charge repose sur :
- Une hospitalisation systématique
- Un traitement antiviral intraveineux précoce à forte dose (aciclovir 10-15 mg/kg toutes les 8h)
- Une surveillance étroite des complications viscérales (pneumopathie, hépatite, encéphalite)
- L'adaptation éventuelle des traitements immunosuppresseurs
La prophylaxie post-exposition est cruciale chez ces patients, reposant sur l'administration d'immunoglobulines spécifiques et/ou un traitement antiviral préemptif.
Varicelle du nouveau-né : surveillance et traitement
La varicelle néonatale représente une urgence médicale nécessitant une prise en charge spécifique. On distingue deux situations :
- Varicelle néonatale précoce : survient dans les 10 premiers jours de vie, due à une transmission in utero
- Varicelle néonatale tardive : survient après 10 jours de vie, due à une contamination post-natale
La gravité dépend du moment de la contamination maternelle par rapport à l'accouchement. Le risque est maximal lorsque l'éruption maternelle survient entre J-5 et J+2 de l'accouchement, avec un taux de mortalité pouvant atteindre 30% en l'absence de traitement.
La prise en charge repose sur :
- L'isolement strict du nouveau-né
- L'administration d'immunoglobulines spécifiques anti-VZV (VariZIG) dans les 96h suivant l'exposition
- Un traitement antiviral par aciclovir intraveineux (20 mg/kg toutes les 8h) pendant 10 à 14 jours
- Une surveillance étroite des complications (pneumopathie, hépatite, troubles de la coagulation)
Le pronostic s'est considérablement amélioré grâce à cette prise en charge précoce, avec une réduction significative de la mortalité et des séquelles à long terme.
Séquelles potentielles et suivi à long terme
Bien que la varicelle soit généralement considérée comme une maladie bénigne, elle peut entraîner des séquelles à long terme, particulièrement dans les formes graves ou compliquées. Ces séquelles peuvent être de nature diverse :
Séquelles cutanées
Les cicatrices post-varicelleuses constituent la séquelle la plus fréquente. Elles résultent souvent du grattage et des surinfections des lésions. Ces cicatrices peuvent être :
- Atrophiques : dépression cutanée
- Hypertrophiques : cicatrice en relief
- Pigmentées : hyperpigmentation ou hypopigmentation persistante
Leur prise en charge peut nécessiter des traitements dermatologiques spécifiques (laser, dermabrasion) dans les cas les plus marqués.
Séquelles neurologiques
Les complications neurologiques de la varicelle, bien que rares, peuvent laisser des séquelles importantes :
- Ataxie cérébelleuse : troubles de l'équilibre et de la coordination pouvant persister plusieurs mois
- Épilepsie séquellaire après une encéphalite varicelleuse
- Déficits moteurs ou sensitifs focaux suite à un accident vasculaire cérébral post-varicelleux
Le suivi neurologique à long terme est essentiel pour ces patients, incluant des bilans réguliers et une rééducation adaptée.
Risque de zona
Le VZV reste latent dans les ganglions nerveux sensitifs après la primo-infection. Cette latence expose au risque de réactivation sous forme de zona, parfois des décennies après la varicelle initiale. Le zona peut lui-même être source de complications, notamment les douleurs post-zostériennes persistantes.
On estime que 10 à 20% des personnes ayant eu la varicelle développeront un zona au cours de leur vie, ce risque augmentant avec l'âge et l'immunodépression.
Risque de zona
Le risque de développer un zona après une varicelle est une préoccupation majeure à long terme. En effet, le virus varicelle-zona (VZV) reste dormant dans les ganglions nerveux sensitifs après la primo-infection, pouvant se réactiver des années plus tard sous forme de zona. Cette réactivation est favorisée par une baisse de l'immunité cellulaire, qu'elle soit liée à l'âge, à une maladie ou à un traitement immunosuppresseur.
Le zona se manifeste par une éruption douloureuse, généralement unilatérale, suivant le trajet d'un dermatome. Ses complications potentielles incluent :
- Les douleurs post-zostériennes, parfois invalidantes et persistantes
- Les atteintes oculaires en cas de zona ophtalmique
- Les surinfections bactériennes des lésions cutanées
- Plus rarement, des complications neurologiques (méningite, myélite)
La prévention du zona repose sur la vaccination spécifique, recommandée chez les personnes de plus de 50 ans, qu'elles aient ou non des antécédents de varicelle. Cette vaccination permet de réduire significativement l'incidence du zona et la sévérité de ses manifestations.
Suivi à long terme post-varicelle
Le suivi à long terme des patients ayant présenté une varicelle, en particulier dans ses formes compliquées, est essentiel pour dépister et prendre en charge d'éventuelles séquelles. Ce suivi doit être adapté au tableau clinique initial et aux complications survenues :
- Suivi dermatologique : évaluation et prise en charge des cicatrices
- Suivi neurologique : bilan cognitif et moteur en cas d'atteinte du système nerveux central
- Suivi pneumologique : exploration fonctionnelle respiratoire après une pneumopathie varicelleuse
- Suivi ophtalmologique : dépistage de complications rétiniennes tardives
Par ailleurs, une attention particulière doit être portée à l'immunité anti-VZV à long terme, notamment chez les patients immunodéprimés ou les femmes en âge de procréer. Un contrôle sérologique peut être proposé pour évaluer la nécessité d'une vaccination de rappel.
La prise en charge des séquelles post-varicelleuses nécessite une approche multidisciplinaire, impliquant dermatologues, neurologues, rééducateurs et psychologues, pour optimiser la qualité de vie des patients.
En conclusion, bien que la varicelle soit souvent perçue comme une maladie bénigne de l'enfance, ses potentielles complications et séquelles à long terme justifient une vigilance particulière. La vaccination reste le moyen le plus efficace de prévenir non seulement la varicelle, mais aussi ses conséquences à long terme, y compris le risque de zona. Une prise en charge adaptée et un suivi personnalisé sont essentiels pour minimiser l'impact de cette infection virale sur la qualité de vie des patients.